Quels outils de préparation mentale et TOP peuvent améliorer la prise de décision ?
Par Olivier Blaschek
Montée en charge : Analyse d’un moment critique.
J’ai eu l’opportunité et le privilège d’intervenir à l’université Pasquale Paoli à Corte pour présenter l’apport de la préparation mentale au sein des sapeurs-pompiers. Dans le cadre du projet CP2DIMG (prononcez CP2dingue !), « Capacité de Prise de Décision dans l’Incertitude sous stress Dépassé ou Mal Géré » porté par le Cdt Antoine Santoni, Jean Louis Rossi et toute leur équipe.
J’ai choisi d’appuyer mes propos sur une vidéo d’introduction : l’extrait du feu de forêt de Martigues (2020). Cette scène très immersive, capturée lors d’une situation d’urgence réelle, illustre la montée d’un stress opérationnel intense, dont les effets sont visibles mais souvent mal interprétés.
Il s’agissait au départ d’une intervention classique de lutte contre un feu de forêt, qui a basculé en situation complexe à cause d’éléments extérieurs imprévus et d’une désynchronisation progressive entre les membres de l’équipe. Trois symptômes majeurs ressortent :
Un stress perceptible et envahissant :
- Le langage non verbal des agents (tensions corporelles, agitation) indique une charge émotionnelle très élevée.
- Le ton des ordres se durcit, témoignant d’une activation émotionnelle intense.
- L’amygdale prend le dessus, au détriment du cortex préfrontal, altérant les capacités de discernement.
Une désorganisation passagère dans l’action :
- Les ordres sont répétés sans être immédiatement exécutés.
- Les réactions sont parfois confuses, lentes ou incohérentes.
- Il y a un décalage entre l’intention du chef et la réception par l’équipe, signe d’une surcharge cognitive ou d’un blocage temporaire.
Un stress professionnel, mais non totalement maîtrisé :
- Les agents restent présents, mobilisés, mais à la limite de la rupture fonctionnelle.
- La tension monte sans basculer dans la panique, mais l’efficacité opérationnelle s’effrite.
- On observe une désynchronisation de la chaîne de commandement, accentuant le risque.
En résumé, cette séquence n’illustre pas une défaillance individuelle, mais l’effet systémique du stress sur une équipe en pleine action, lorsque les mécanismes de gestion ne sont pas activés à temps ou sont saturés.
Comment le stress agit-il concrètement sur les agents ?
Le stress aigu en intervention provoque une cascade de réactions physiologiques et cognitives :
- Activation du système sympathique : fréquence cardiaque et respiratoire élevées, tension musculaire, libération d’hormones, focalisation sur les menaces…
- Réduction du champ attentionnel : la vision périphérique se restreint, la capacité d’analyse diminue, effet tunnel…
- Altération des fonctions exécutives : prise de décision ralentie, rigidité comportementale, biais émotionnels…
En d’autres termes, le pompier agit moins en fonction de sa formation, et davantage sous l’emprise de réactions archaïques de survie, en mode « pilote automatique » mais sans analyse.
C’est précisément dans ces moments-là que la préparation mentale prend tout son sens : non pas pour « calmer » l’agent, mais pour lui permettre de réguler sa réponse physiologique et cognitive afin de rester fonctionnel et lucide, même sous haute pression.
De la réaction à l’action : la pyramide de la performance
Face à ces effets du stress, il devient essentiel de repenser la performance opérationnelle dans sa globalité. C’est pourquoi j’ai introduit la pyramide de la performance, bien connue des athlètes de haut niveau, qui hiérarchise les composantes de l’efficacité sur le terrain :
- Mental (socle transversal) : stabilité émotionnelle, gestion de l’imprévu, autorégulation.
- Technique : gestes, manœuvres, sécurité.
- Tactique : adaptation, stratégie locale, lecture du terrain.
- Physique : endurance, force, récupération.
Ce premier pilier, trop souvent négligé dans la formation initiale et tout au long de la carrière d’un pompier, est pourtant celui qui conditionne l’activation cohérente des autres.

La méthode P2R : Préparer – Performer – Récupérer
Pour intégrer concrètement ces leviers mentaux dans l’entraînement des sapeurs-pompiers, j’ai développé l’approche P2R, en prenant en compte l’intervention (pendant) qui est fondamentalement l’axe de ce triptyque :
🔹 Avant l’intervention : Préparer
Comment combattre un ennemi que l’on ne connaît pas ? Le stress est omniprésent et n’est pas aussi négatif que l’on veuille le croire. Il faut simplement apprendre à vivre avec, c’est une gymnastique à maitriser.
Connaître ces mécanismes, comprendre les effets physiologiques et apprendre à le réguler sont des leviers essentiels pour débuter cette démarche de performance.
Météo et Tableau
La base de toute démarche d’évolution nécessite que l’individu se connaisse et reconnaisse ses comportements internes en mettant en œuvre une météo interne. Cette météo est la prise en compte des pensées, des émotions et des comportements1.
La météo intérieure est une métaphore simple mais puissante, utilisée dans les Techniques d’Optimisation du Potentiel (TOP). Elle permet de faire le point sur son état mental, émotionnel et physique à un instant donné, comme on consulte le ciel avant de partir en mission.
Parce que notre état interne influence directement notre efficacité.

Si je suis trop tendu ou au contraire trop relâché, je ne serai pas pleinement disponible pour agir correctement.
La météo intérieure nous aide à prendre conscience de ce qui se passe en nous, pour ajuster notre niveau d’activation en fonction de la situation.
Rendez-vous sur ce lien pour un article plus complet sur la météo intérieure.
En quelques secondes, on analyse notre état, comprendre cet état me place comme acteur, je reste dans l’action et non spectateur de mon propre être.
Répétition mentale
La répétition mentale est une simulation cognitive qui vise à automatiser les gestes, les enchaînements et les processus cognitifs.
Elle peut être analytique en décryptant un geste précis (ouverture de porte avec un halligan tool…), un enchaînement de plusieurs mouvements, séquentielle (établissement d’une lance sur une prise d’eau…) ou encore globale, dans sa globalité (protection d’un point sensible, MGO…)
On visualise non seulement l’action réussie, mais aussi les imprévus possibles afin d’ajuster son scénario.
En consolidant ses acquis, on réduit le spectre d’impact du stress. Cette technique est un gain motivationnel, d’apaisement face à l’action, de contrôle émotionnel et de renforcement de la confiance en soi.
🔹 Pendant l’intervention : Performer
Boucle CALME :
Cette boucle que j’ai développé (lien vers l’article) permet une prise de décision sous stress intense, définir et prioriser nos actions sans être débordé émotionnellement.

Utilisation de la méthode C.A.L.M.E, une boucle d’autorégulation et de rétroaction, composée de 5 étapes :
- Comprendre le stresseur (reconnaître la source du trouble)
- Accepter l’émotion (lâcher le combat intérieur)
- Libérer la tension (par la respiration, l’ancrage)
- Mettre en œuvre une stratégie (reconnexion à l’objectif)
- Évaluer l’efficacité (ajuster en conscience)
Ces outils permettent de relancer la capacité à penser, décider, agir, sans être prisonnier de la réaction automatique.
🔹 Après l’intervention : Récupérer
Chaque intervention a un impact émotionnel et cognitif différent. Il faut adapter la récupération à l’intensité vécue :
- Basse : relaxation simple individuelle, respiration, carnet correctif.
- Modérée : relaxation musculaire indirecte RMI, intégration des ressentis.
- Élevée : sas de décompression, défusing collectif, relaxation ou dynamisation du groupe, appui psychologique différé.

ZOOM sur les sas de décompression : le caporal Guillaume BODET travaille sur le stress opérationnel et rédige actuellement un mémoire concernant la mise en place de « sas de décompression », ou comment réduire la pression émotionnelle d’une équipe de retour d’intervention intense en CS, à lourde charge cognitive ou physique. La possibilité de réaliser cette décompression par des techniques de préparation mentale TOP ou autre, de réaliser un défusing type « machine à café » et éventuellement faire intervenir la cellule psy pour poursuivre cette chaîne de soutien opérationnelle.
Et ensuite ? – Les leviers pour optimiser le sommeil :
4 points importants concernant le sommeil, grand oublié de la récupération. La formation d’agents au SDIS91 passe par plusieurs items :
Mieux se connaître :
➤ Identifier le chronotype de chacun et mettre en place des routines adaptées (alimentation, écran, sport…).
Faciliter l’endormissement :
➤ Apprentissage d’outils comme des respirations relaxantes, ou des balades sensorielles, contracté-relâché…
Optimiser le ré-endormissement :
➤ Appliquer des techniques de relaxation comme la RMI (Relaxation Musculaire Indirecte) après un réveil nocturne. Saviez-vous que 66% des pompiers Français n’arrivent pas à se rendormir suite à une intervention nocturne et dans ce panel, 77% ne mettent pas de stratégies en place pour améliorer tout cela ! 2 et 3.
Maîtriser l’art de la sieste :
➤ Savoir “siester” efficacement en fonction de ses besoins :
5, 20 ou 90 minutes, avec les bons protocoles (PRO : Pause Régénératrice Optimisée ou TPO : Temps de Pause Optimisé).

Conclusion : La régulation mentale comme compétence opérationnelle
Ce que nous enseigne l’expérience de Martigues, c’est que la compétence ne suffit pas sans lucidité.
Et cette lucidité ne s’improvise pas. Elle se prépare, s’entraîne, se renforce.
Dans un contexte opérationnel où chaque secondes comptent, la gestion du stress est aussi indispensable que la maitrise des gestes techniques.
Ces techniques et outils oeuvrent à préserver un bien précieux, la disponibilité opérationnelle durable. Durable car nous nous épuisons dans nos carrières, à trop souvent nager à contre-courant. Se comprendre et se maitriser, n’est il pas l’avenir de notre métier ?
Le projet CP2DIMG développé par Frédéric Antoine Santoni, toute la formidable équipe de la FRES et le SIS2B, en croisant les savoirs des SIS, des universités et des acteurs de terrain, permet de bâtir une nouvelle génération de pompiers, à la fois compétents et régulés.
Car oui, la meilleure des lances devient inefficace si l’opérateur a perdu sa capacité à décider.
Et la meilleure des stratégies commence par un esprit capable de la penser, même dans le chaos.

Article du SIS2B : https://sis2b.corsica/la-prise-en-compte-du-facteur-humain-chez-les-sapeurs-pompiers/
La Boucle CALME – 2025 d’ici Olivier BLASCHEK est titulaire d’une licence CC BY-NC-SA 4.0
Pour consulter une copie de cette licence, visitez https://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/
- Le psychiatre Aaron Beck, à l’origine de la thérapie cognitivo-comportementale, a montré que nos pensées, nos émotions et nos comportements sont étroitement liés.
Par exemple, ce que l’on pense d’une situation influence ce que l’on ressent et comment on agit.
À l’inverse, nos émotions peuvent changer nos pensées, et nos actions peuvent renforcer certains sentiments ou idées.
Tout est connecté : changer un élément peut aider à rééquilibrer l’ensemble. ↩︎ - https://yogalkemia.com/le-sommeil-chez-les-pompiers-stats/ ↩︎
- https://pnrs.ensosp.fr/Plateformes/Sante/APS/Preservation-du-capital-sante2/Le-sommeil-chez-les-sapeurs-pompiers ↩︎
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